Ce que le Canada peut apprendre de l’expérience des rangers de l’Australie

Par Valérie Courtois

En juin 2013, j’ai parcouru le Territoire du Nord de l'Australie en compagnie d’une délégation de gardiens autochtones du Canada. À notre arrivée dans l’aire protégée autochtone de Warddeken, il faisait excessivement chaud. Mais en passant devant d'imposantes formations rocheuses, mon attention a été détournée de la chaleur accablante par la beauté des peintures rupestres devant nous – parmi les plus anciennes au monde.

Nous étions ici pour rencontrer une équipe de rangers autochtones qui assurent la gestion de l’aire protégée. Lorsqu’ils ont décrit leur rôle, j’ai été frappée par la stabilité et la continuité de leur travail. Un ranger nous a révélé que son neveu a grandi en s’imaginant devenir un jour un ranger. Il était persuadé de pouvoir suivre une formation professionnelle et trouver un emploi qui lui permettrait de veiller sur le territoire au nom de sa communauté et de tous les Australiens.

En Australie, la génération montante de gestionnaires des terres autochtones peut compter sur un soutien financier important. En effet, le gouvernement fédéral a consenti des investissements à long terme dans les aires protégées autochtones (APA) et les programmes des rangers autochtones. Des études le confirment : ces investissements entraînent des résultats positifs sur le territoire, pour l'économie et pour la population.

Une délégation de gestionnaires autochtones des terres de Warddeken et d’autres régions est venue au Canada afin d’échanger sur le pouvoir transformateur de la conservation dirigée par les Autochtones lorsqu’elle bénéficie d’un financement adéquat.

4-z058-Warddeken_1027780-copy-1-1024x683.jpg

Ce dialogue survient à un moment charnière. Le Canada s'est engagé à protéger au moins de 17 % des terres et des eaux douces au pays d’ici 2020. L'établissement d’aires protégées autochtones et le financement à long terme de l’intendance autochtone par l’entremise de programmes des gardiens autochtones constituent le moyen le plus simple et le plus efficace pour y arriver.

Cette approche contribuera au renouvellement de la relation entre les Autochtones et les gouvernements. Le modèle australien démontre qu’en reconnaissant la conservation dirigée par les Autochtones, on peut guérir en partie les blessures du colonialisme. Il en va de même au Canada. Le droit des peuples autochtones à définir l’avenir de leurs territoires est un élément essentiel de la réconciliation.

Des retombées structurantes pour le territoire et les gens

L'exemple australien révèle l’ampleur des changements que ces programmes peuvent entraîner. On compte 75 aires protégées autochtones qui représentent près de la moitié du réseau national de parcs et de terres conservées de l’Australie. Les propriétaires de terres autochtones traditionnelles déterminent les zones à protéger et concluent ensuite des ententes de protection du territoire avec le gouvernement fédéral.

Le gouvernement australien reconnaît que les aires protégées nécessitent une gestion continue. C'est pourquoi il a décidé d’investir 840 millions de dollars canadiens dans les programmes des rangers autochtones de 2007 à 2023. Ce financement donne des résultats : des études démontrent que chaque dollar investi dans les APA et les programmes des rangers génère environ 3 $ sous forme d’avantages sociaux, économiques et culturels.

Les résultats en matière de conversation sont bien connus : ils aident à rétablir les populations d'espèces animales menacées et à lutter contre les effets des changements climatiques. Mais la façon dont les programmes des rangers transforment la vie des gens et des communautés est plus inspirante encore.

Ces changements sont visibles un peu partout. Ces programmes génèrent d’importantes retombées : les jeunes envisagent l’avenir avec espoir; les femmes occupent un emploi flexible leur permettant de s'occuper de leur famille; les rangers participent à des programmes de prévention du suicide en favorisant le rapprochement avec le territoire en plus d’être en santé grâce aux nombreuses activités qu’ils accomplissent sur le territoire; les coûts de la justice et les taux de criminalité sont en baisse; les programmes de rangers génèrent des millions de dollars de revenus grâce à la réalisation de contrats de conservation rémunérés et créent des milliers d’emplois qui produisent de la richesse dans les communautés en région et éloignées; et un nombre croissant de gens sont fiers de leur culture et de leurs traditions.

La recherche confirme ces résultats. Mais le témoignage des rangers sur tout ce que leur apporte leur rôle de gardien constitue sans doute l’argument le plus puissant en faveur de ces programmes.

Le leadership autochtone au Canada

J’entends des témoignages semblables parmi les gardiens au Canada. De nombreuses nations autochtones établissent des aires protégées autochtones et on compte plus de 40 programmes des gardiens autochtones qui veillent à la protection des territoires traditionnels. De plus en plus de nations autochtones sont prêtes à lancer de telles initiatives, mais elles ont besoin de soutien.

Mon voyage à Warddeken m’a permis de comprendre pourquoi. Beaucoup de choses me rappelaient mon expérience au Canada : le bruit des émetteurs radio dans le bureau des rangers, les cartes illustrant les modes d’utilisation des territoires traditionnels et les méthodes de collecte des données. Nous utilisions des outils similaires lorsque j'assurais la gestion du programme Minashkuat Kanakutuataku (les gardiens environnementaux innus) pour le compte de la nation innue du Labrador.

Il y avait cependant une différence majeure : je passais environ 80 % de mon temps à amasser des fonds pour le programme à partir de sources de financement qui changeaient fréquemment. En Australie, les rangers disposent d'un financement stable et peuvent se concentrer sur la gestion du territoire.

Lorsque les gestionnaires autochtones des terres (dont un ranger de Warddeken) arriveront au Canada la semaine prochaine, ils rencontreront les gardiens et les représentants des gouvernements autochtones et canadiens. Nous discuterons des façons dont le Canada peut faire preuve d’un leadership semblable. Un investissement à long terme dans la conservation autochtone permettrait au Canada de protéger au moins 17 % des terres d'ici 2020 tout en favorisantla réconciliation. Ces investissements transformeront la vie de chacun, aujourd'hui et à l'avenir.

Précédent
Précédent

Le Rassemblement national des gardiens célèbre la conservation dirigée par les Autochtones

Suivant
Suivant

Les Premières Nations du Dehcho créent une aire protégée autochtone qui permet au Canada de se rapprocher de ses objectifs en matière de conservation