La Nation Crie et la Nation Innue signent une entente historique visant le partage et la protection du caribou

Caribou le long de la rivière George, au Labrador. Photo : Valérie Courtois

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Par Valérie Courtois

En tant que femme innue, j’appartiens au peuple du caribou. Notre relation avec cet animal est au cœur de nos enseignements et de notre responsabilité envers le territoire. Lorsque je suis arrivée au Labrador au début des années 2000, il y avait tant de caribous que j’ai dû attendre près d’une heure que la harde traverse la route. C’était la première fois que je conduisais sur la route translabradorienne. Cependant, au fil des ans, le nombre de caribous de la harde de la rivière George a chuté. On en compte aujourd’hui environ 8 100, comparativement à 800 000 en 1993. Ce déclin alarmant est une source de tristesse qui a toutefois poussé les nations autochtones inquiètes à prendre les mesures nécessaires pour aider à rétablir la population. Le caribou nous manque. Il a créé un vide dans notre cœur et au plus profond de notre être.

Cette semaine, nous avons été témoins d’une percée significative. Ce fut également l’occasion d’une rencontre.

La Nation Crie et la Nation Innue ont signé lundi une entente qui fait revivre les pratiques de nos ancêtres et qui prend assise sur les valeurs traditionnelles de partage, de récolte durable et de respect du caribou.

Dans le cadre de l’entente, une chasse communautaire aura lieu à Chisasibi, sur le territoire d’Eeyou Istchee, où les Cris partageront 300 caribous avec les Innus, soit près de la moitié de leur récolte autorisée de caribous de la harde de la rivière aux Feuilles. La chasse communautaire – une idée conçue en consultation avec les aînés, les maîtres trappeurs et les utilisateurs du territoire – permettra essentiellement d’enseigner les pratiques traditionnelles relatives au caribou. Cet événement sera l’occasion, pour les membres des communautés, d’être sur le territoire et d’agir selon une éthique  de partage, de conservation et de respect.

Les gardiens des nations Crie et Innue seront responsables de surveiller et de documenter la chasse, de gérer la logistique et d’assurer la sécurité.

Grâce à cette chasse, chaque école innue aura l’occasion de montrer à nos enfants la façon de prendre soin du caribou, de le consommer avec respect et de le partager, en plus de leur enseigner toutes nos lois et l’éthique qui régissent notre relation avec cet animal. De nombreux enfants innus auront la chance de goûter à la viande de caribou pour la première fois. De plus, les aînés innus pourront constater que cette chasse honore les pratiques ancestrales.

Il s’agit également d’une puissante expression de la nationalité autochtone. L’amitié entre les Cris et les Innus remonte à des temps immémoriaux. Jadis, les Innus et les Cris chassaient ensemble le caribou. Nos familles et nos communautés sont étroitement liées. Le colonialisme a créé des obstacles artificiels entre nous, mais en cette période de pénurie, nous nous tournons vers les valeurs qui nous ont aidés à survivre à la famine dans le passé : la coopération et la générosité.

Les Cris et les Innus n’ont pas cherché à obtenir l’autorisation des gouvernements pour conclure cette entente. Ce sont deux nations qui agissent maintenant selon leur vision et leurs valeurs.

Cette manifestation de l’affirmation de la nationalité autochtone prend racine dans la Table ronde autochtone du caribou de la péninsule Ungava, connue sous le nom de TRACPU. Au début du déclin des hardes, sept nations et groupes autochtones se sont réunis et ont lancé une stratégie novatrice en 2017 en vue de rétablir la population de caribous dans l’ensemble du territoire de 1,5 million de km2 qui s’étend sur le Québec, le Labrador et le Nunavik. Cette entente de coopération entre nations autochtones pour la gestion de la faune est la première d’une telle envergure au Canada.

Des membres de la Table ronde autochtone du caribou de la péninsule Ungava. Photo : Valérie Courtois

J’ai eu l’honneur de faciliter les discussions qui se sont déroulées à l’occasion de la TRACPU. Je suis très fière que le travail des Innus dans le cadre de la table ronde ait contribué à officialiser la Nation Innue au sens moderne. L’unification de ma Nation est un cadeau du caribou. Et cette récente entente conclue avec les Cris au sujet du caribou est elle aussi une manifestation de la nationalité Innue.

Chaque année, je me rends dans l’habitat du caribou près de la rivière George, que nous appelons Mushuau shipu, pour rendre hommage à cette relation sacrée. Je me réjouis de voir la Nation Innue exercer notre responsabilité envers le caribou.

J’espère que le maître Caribou verra d’un œil favorable cette entente signée entre les Cris et les Innus. Elle témoigne de la responsabilité que nous assumons à l’égard de notre relation. En veillant mutuellement à apaiser la faim de l’autre, nous faisons preuve de respect. Lorsque nous effectuons ce partage d’une bonne façon, le maître Caribou subvient à nos besoins.

Caribou près de la rivière George, au Labrador. Photo : Valérie Courtois

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