Les plantes boréales, la biodiversité et le savoir autochtone : une question de relations

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Par Shaunna Morgan Siegers

La forêt boréale est connue pour ses vastes étendues d’arbres à perte de vue. La surface du sol, elle, déborde aussi de vie. Elle est tapissée de couches de lichen touffu de couleur argent, vert sauge et vert lime. Sa structure même incarne l'une des vérités les plus fondamentales de la forêt. Le lichen existe en raison du lien stable qui se forme entre le champignon et les algues : le champignon assure une protection physique alors que les algues offrent le sucre de la photosynthèse. Cette relation de mutualisme se reflète dans l'ensemble de la région boréale, où tous les éléments s’inscrivent en résonance synchrone : le lichen fournit un remède naturel aux gens, nourrit des générations de caribous et contribue à purifier l'air pour tous et, en retour, chacun apporte quelque chose au lichen.

Le lichen nous rappelle que la vie repose sur notre relation avec le monde naturel.

Les Autochtones sont en relation avec les plantes et les animaux de la forêt boréale au Canada depuis des milliers d'années – bien avant l’histoire documentée, comme on le dit souvent. Ces relations sont au cœur de l'intendance autochtone et forment la raison pour laquelle la forêt boréale demeure la plus grande forêt intacte de la planète.

Au moment où le monde est confronté à une dangereuse perte de biodiversité et à des répercussions climatiques dévastatrices, les relations entre les Autochtones et le territoire offrent un modèle pour inverser la tendance.

Des membres de la communauté internationale se réuniront dans les prochains mois pour fixer de nouveaux objectifs visant à surmonter ces crises. Le respect et le soutien de la conservation dirigée par les Autochtones aideront les nations du monde à préserver la biodiversité et notamment à atteindre l'objectif de la Coalition de la Haute Ambition pour la nature et les peuples de protéger 30 % du territoire d'ici 2030.

Sur le territoire de l'aire protégée autochtone Thaidene Nëné, dans les T.N.-O.

Sur le territoire de l'aire protégée autochtone Thaidene Nëné, dans les T.N.-O.

Les plantes comme source d’apprentissage

En tout temps, on compte environ de 500 à 600 milliards d'arbres enracinés dans les sols de la forêt boréale. Les baies, les mousses, les saules et les innombrables autres espèces vigoureuses se sont adaptés au climat subarctique. Depuis plus de 6 000 ans, cette abondance permet aux peuples autochtones de s’épanouir dans la forêt boréale.

Aujourd'hui, les membres de ma famille ont un mode de vie semblable à celui de mes arrière-grands-parents. Je suis impressionnée par la richesse des connaissances sur les plantes qui ont été transmises d’une génération à l’autre par les Aînés. Ma mère relate la guérison de proches, malades, à l’aide de cataplasmes faits de branches de cèdre. Ma grand-mère a failli mourir à la naissance de son dernier enfant et c'est le savoir en matière de plantes qui l'a maintenue en vie, jusqu'à ce qu'un avion puisse l'emmener à un hôpital moderne – un endroit où on retrouve une tonne de médicaments à base de plantes. 

Dans le cadre de mes études supérieures en botanique, j’ai étudié une plante appelée weekas en cri. Je me souviens que les Aînés nous ont emmenés, mon mentor et moi, sur le territoire et nous ont offert le plus petit des weekas frais; il avait la taille d'une tête d'épingle. Il a eu sur nos gorges un effet apaisant puissant, qui a duré des heures et des heures. Rien à voir avec les pastilles en vente libre qui n'apportent qu'un soulagement temporaire.

Le weekas apaise les gorges irritées.

Le weekas apaise les gorges irritées.

Ce genre de savoir a permis aux Autochtones et aux weekas de survivre. Les plantes protègent notre santé, et nous veillons à les propager et à les préserver. On retrouve ces relations de mutualisme partout dans le monde.

Le rôle des populations dans la préservation de la biodiversité

Les bleuets foisonnent partout dans la forêt boréale et, depuis des générations, les Autochtones brûlent les sols où ils poussent pour augmenter la productivité des bleuetiers. Le feu stimule la plante pour qu'elle se régénère et produise une plus grande récolte l'année suivante.

Les parcelles de bleuets en santé – et un nombre croissant de recherches – montrent qu’on trouve la plus grande biodiversité là où les Autochtones sont les gardiens de la terre.

Le rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques des Nations Unies révèle que les terres et les eaux gérées par les peuples autochtones sont généralement plus saines et plus vivantes que celles d’autres régions. Une étude de l’Université de la Colombie-Britannique sur les données relatives aux terres et aux espèces au Canada, au Brésil et en Australie démontre que le nombre d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles était le plus élevé sur les terres gérées par les nations autochtones.

Bluets sauvages.

Bluets sauvages.

Spécialiste en biologie végétale et membre inscrite de la nation Citizen Potawatomi, Robin Wall Kimmerer présente un exemple concret tiré des travaux de son étudiant sur l’hiérochloé odorante, qui figure dans le livre de Robin intitulé Braiding Sweetgrass. Certains chercheurs étaient convaincus que la récolte de la plante entraînerait une réduction de sa productivité. Toutefois, les recherches de l'étudiant ont plutôt démontré qu’une « récolte honorable », comme décrite dans le livre de Robin, stimulait la plante et favorisait sa reproduction, et que la relation entre les populations et l’hiérochloé odorante leur permettait à tous deux d’être en meilleure santé.

L’une des premières leçons que j’ai apprises des Aînés est la suivante : il ne faut prendre que ce dont on a besoin. Il y a peut-être plus de biodiversité dans les endroits où le savoir et les lois autochtones sont mis en pratique – comme le cas de la « récolte honorable » – et où les relations restent fortes parce que les gens ne prennent que ce dont ils ont besoin et ils continuent de pratiquer la réciprocité en prenant soin des plantes, au lieu de seulement les utiliser.

De nouveaux modèles pour des terres et des populations durables : les APCA et les gardiens

Pendant des siècles, les non-Autochtones ont découvert dans la forêt boréale des terres qu'ils croyaient exemptes de toute présence humaine. Elles reflétaient plutôt les soins apportés par les peuples – qu'il s'agisse de weekas transplantés ou de bleuets en abondance. Cette perception de la nature comme étant un endroit « sauvage » sans présence humaine a façonné certaines approches relatives aux aires protégées et de conservation.

Heureusement, les nations autochtones du Canada offrent un modèle différent : les aires protégées et de conservation autochtones (APCA). Les nations autochtones désignent les APCA comme des territoires devant faire l’objet d’une protection fondée sur leur savoir et leurs lois.

Les APCA permettent de veiller au maintien de la relation entre les peuples et le territoire. La Première Nation des Dénés de Lutsel K’e, par exemple, a dirigé la création en 2019 de l’aire protégée autochtone de Thaidene Nëné : 26 376 km2 de forêt boréale et de toundra. Les membres de Lutsel K’e élaborent un plan provisoire de gestion, mais contrairement aux anciens plans directeurs de parc national, celui-ci inclut leurs visions du monde, leurs lois et leurs relations.

De nombreuses autres nations progressent dans l’établissement d’APCA. Plusieurs seront gérées par des gardiens autochtones, c’est-à-dire des experts formés qui veillent à la protection des territoires au nom de leur nation. Le travail des gardiens reflète les enseignements des Aînés, oriente l’élaboration de politiques et préserve les relations. Il existe plus de 70 programmes des gardiens au pays et le gouvernement du Canada s’est engagé récemment à financer un nombre accru de programmes et à mettre sur pied un réseau national des gardiens.

La réciprocité et l’expression de la reconnaissance

Les APCA et les programmes des gardiens aident les nations autochtones à honorer leurs responsabilités spirituelles et culturelles envers le territoire. La multiplication de ces solutions permettra d’assurer la pérennité des plantes, des animaux et des eaux propres pour tout le monde et fera en sorte que le Canada respecte ses engagements en matière de biodiversité. Elle offrira également un modèle de conservation respectueuse et équitable, ancré dans les relations et les réciprocités qui nous maintiennent en vie.

Les Aînés nous enseignent l'importance de remercier l’autre dans une relation réciproque. Lorsque nous récoltons des plantes à des fins médicinales ou alimentaires, nous exprimons notre reconnaissance et faisons des offrandes, car comme les humains, elles sont vivantes et communiquent. Nous les remercions en offrant du tabac et d'autres cadeaux. Nous sommes cependant aussi animés d’un sentiment de devoir : il nous faut prendre soin des plantes et des animaux qui prennent soin de nous. C'est ainsi que nous nous assurons l’épanouissement de tous à l'avenir.

Shaunna Morgan Siegers dans l'aire protégée autochtone candidate du bassin versant de la rivière Seal, dans le nord du Manitoba.

Shaunna Morgan Siegers dans l'aire protégée autochtone candidate du bassin versant de la rivière Seal, dans le nord du Manitoba.

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