Répondre à la crise du saumon grâce au savoir et l’intendance des peuples autochtones

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Par Frank Brown

10 juillet 2023

Le long de la côte Pacifique, de nombreuses espèces de saumons effectuent leur migration estivale des eaux océaniques vers les rivières et les ruisseaux. Dans la culture des Premières Nations, le saumon est un symbole de régénération et de persévérance. Au cours de la reproduction, le saumon doit sacrifier sa propre vie pour permettre à la génération suivante de prospérer. Dans cet écosystème, de nombreuses créatures, dont les ours, les aigles et les humains, dépendent du saumon pour leur subsistance.

À partir de son ruisseau d’origine, un œuf de saumon éclot en alevin de saumon, se transforme en saumoneau et part en mer où il atteint sa maturité et est prêt à se reproduire et à retourner dans son ruisseau d’origine dont le chemin est gravé en lui. Les saumons ont toujours migré et, à mesure que les glaciers fondaient, ils colonisaient de nouveaux réseaux fluviaux. Sur le territoire des Heiltsuk, des arêtes de saumon datant de 7 000 ans ont été découvertes sur l’île de Triquet, où se trouve un ancien village. Selon des données archéologiques, il y a 14 000 ans, au même endroit, nos ancêtres consommaient des mammifères marins. 

Certains récits évoquent notre pratique ancestrale consistant à ensemencer des rivières à saumon non productives à partir de saumons de rivières à saumon productives à l’aide de gravier et de paniers de racines d’épinettes. Nous avons également construit des barrages et des pièges à saumon. Nos peuples ont construit de vastes jardins de mollusques et utilisé le brûlage contrôlé, ce qui a permis d’améliorer les services écosystémiques et d’apporter des solutions fondées sur la nature en période de pénurie. Il s’agit là de leçons importantes en matière de gestion et de durabilité. L’une des principales leçons de l’histoire des jumeaux du saumon est qu’il faut respecter les saumons qui nous font vivre, sous peine de ne pas les voir revenir. Avoir des jumeaux est considéré comme une bénédiction au sein du peuple du saumon, et c’est pourquoi des enfants jumeaux mènent la danse du saumon lors de la cérémonie du potlatch des Heiltsuk.

Nos Aînés disent que le saumon était si abondant qu’on pouvait pratiquement marcher sur leur dos pour traverser le ruisseau qui regorgeait de saumons à cette époque. On a vu au printemps de magnifiques groupes d’orques arrivant pour se nourrir de saumons.

Cette abondance n’est pas le fruit du hasard, mais bien d’une volonté. Notre peuple a pris grand soin de ces services écosystémiques grâce à la relation étroite qu’il entretient avec le saumon. Les lois, le mode de gouvernance et les systèmes d’intendance des Heiltsuk sont fondés sur des millénaires d’observation et de transfert de connaissances entre générations.

Ces traditions ont été bouleversées par les forces de la colonisation. Les cycles d’expansion et de ralentissement des activités de la pêche au saumon – tout comme ceux des fourrures et du bois au cours de la révolution industrielle – ont eu des effets dévastateurs. On comptait plus de 70 conserveries de saumon sur la côte Pacifique, et comme nos barrages et nos pièges à saumon étaient interdits, nos gens travaillaient sur des bateaux canari et exploitaient des bateaux de la compagnie. 

Parfois, les bateaux déversaient des cargaisons de saumon parce qu’il n’était pas possible de les traiter à temps pour éviter que le poisson ne se détériore.

Notre peuple a été bouleversé par ce gaspillage et ce manque de respect à l’égard du Saumon. Et nous continuons à constater les effets de ce déséquilibre.

Tout est interrelié : l’acidification des océans, le réchauffement des eaux, le déclin des saumons, des harengs et des orques. Des recherches ont permis de suivre l’augmentation de la température des eaux marines et de conclure que les océans absorbent chaque seconde une quantité de chaleur équivalente à sept explosions de la bombe d’Hiroshima.

Nous pensions que les ressources de l’océan seraient inépuisables, mais nous savons maintenant qu’elles sont limitées et qu’elles sont confrontées à des défis extrêmes. Nous devons réfléchir à nos décisions et aux conséquences de nos actions.

C’est pourquoi les nations situées le long de la côte du Canada et du sud-est de l’Alaska se sont récemment réunies pour déclarer une situation d’urgence concernant le saumon en raison des menaces environnementales à sa survie. Cette déclaration a été faite à l’occasion du 4e sommet annuel des leaders autochtones, qui s’est tenu à Washington le mois dernier, afin de reconnaître qu’il s’agit d’une crise complexe et transfrontalière.

Pour assurer la prospérité de la prochaine génération de saumons et de nos populations, il faut agir à l’échelle mondiale et modifier les systèmes énergétiques en plus de réduire les émissions de carbone. Il faudra également respecter le savoir et l’intendance autochtones. 

Les Premières Nations ouvrent la voie à un avenir plus durable. De nombreuses nations ont signé l’Appel à l’action de la déclaration sur la crise transfrontalière du saumon en 2019. Nous créons des aires marines protégées pour restaurer la qualité des eaux. Nous affirmons notre autorité décisionnelle dans les domaines de la foresterie et de la pêche. Nous élargissons également les programmes des gardiens de la côte, qui surveillent et prennent soin des lieux dont dépendent les saumons. Les gardiens recueillent les données qui guident nos nations dans l’élaboration des politiques qui contribueront à favoriser la restauration du saumon et d’autres espèces.

Nos nations vivent le long de ces eaux depuis des millénaires. Nous savons à quoi ressemble un océan Pacifique en bonne santé. Nous savons à quoi ressemble une montaison abondante de saumons. Nous nous appuyons sur ces connaissances pour restaurer cet écosystème dynamique au profit du saumon et des humains.

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